Jalouse 2012
Arizona dream
Venus pour une parenthèse de quelques semaines, quelques années ou la vie entière, ils ont avalé des kilomètres de poussière et de fournaise pour échoir ici et faire l’expérience d’une vie frugale. Ici c’est Arcosanti, écolage dénonçant l’hyperconsommation qui entend jouer le rôle de labo de la décroissance. Une enclave d’utopie dans l’aride désert de l’Arizona et de la réalité. Sept mille volontaires y sont passés depuis sa création, sa communauté a régulièrement les honneurs de la presse américaine et son architecture tient bon la rampe. Mais pour combien de temps ? Rencontre avec ces pionniers modernes qui peuplent Arcosanti.
Ils viennent de loin pour goûter à la philosophie d’Arcosanti. Dans ce « kibboutz » de béton brut, on croise un routard texan, une midinette australienne, un architecte de Cisco, une cantatrice venue d’Allemagne, une musicienne du Missouri, un architecte japonais, un défenseur du biocarburant, une Coréenne, une urbaniste hongroise, un descendant d’une famille de Red Necks, un « wanderer » arrivé à bord d’un « school bus »… Entre Blade Runner et Mos Eisley (la ville de la planète Tatooine dans Star Wars), l’ensemble de bâtiments datant des seventies épouse les silhouettes des Sci-Fi movies qui font son charme. Au cœur du dispositif, un demi-dôme renforce l’aspect sacral et un hérissement de cyprès appuie la vision surnaturelle de la skyline. Une salle des archives précieusement conservées recèle des centaines de dessins et de plans d’autres cités futuristes qu’on ne manie qu’avec des gants en coton blanc. Arcosanti pourrait être le refuge des rescapés de Green Sun, le film d’anticipation réalisée en 1973 par Richard Fleischer. En visitant les lieux avant September 11, Coppola aurait aussi voulu s’en inspirer, dit-on. Le projet n’a pas abouti. Mais au-delà des références cinégéniques, c’est le mode de vie qui rend l’endroit si spécial. Imaginez un village où les repas se prennent en commun dans un gros Rubik’ s cube baptisé Crafts III abritant la grande cantine à 2$ le plat de (bon) tofu. Les habitants se mettent à tour de rôle au fourneau. Même esprit à la piscine, dans les serres, pour les pelouses manucurées : tout est partagé. Résultat, avec seulement 10 hectares de bâti, la nature autour est restée vierge. Aussi il n’est pas rare de tomber sur un bull snake égaré, une colonie de daddy long legs (araignées) ou un scorpion. La journée est occupée à produire des cloches en terre cuite à partir d’argile prélevée loin et de bronze. « Leur tonalité reproduit le son des plaques tectoniques », assure David, le fabuleux maître céramiste. Ses cloches ont une autre vertu : vendues à Scottsdale (de 29 à 112 $), c’est le principal gagne-pain de la communauté. Le soir, le « Construction Camp », extension située en contre-bas, devient le hot spot : après le dîner servi à 18h pétantes, on y refait le monde au mépris du couvre-feu de minuit. Tout y passe joyeusement : les gossips, les flirts, avant de s’endormir dans des cubes de béton datant de l’âge d’or du Flower Power. Puis, le lendemain, on recommence, debout dès 5h. « A force d’être toujours dans la peur, les Américains oublient de vivre. Bien sûr ici nous gagnons moins bien notre vie mais nous troquons presque tout », explique une Arconaute qui pour financer la « high school » de son fils de 15 ans a lancé un commerce de yogurts. Autre avantage : pas de commuting pour aller bosser, pas de gaspillage d’essence. Les logements communiquent avec les bureaux, les ateliers. « Regardez je n’ai qu’à descendre un escalier pour y être », montre fièrement le directeur du site qui vit dans « East Crescent ». Arcosanti fête cette année ses 42 ans.
Remontons à 1970 : un jeune architecte d’origine italienne nommé Paolo Soleri vient de se brouiller avec le grand Franck Lloyd Right chez qu’il étudie. Il décide de racheter ce terrain pour en faire le lieu d’expérimentation de son propre projet de cité utopique. Un élégant canyon perdu en plein désert et riche d’une source d’eau. A l’avant-garde de l’architecture green d’aujourd’hui le modèle de Soleri prend le contre-pied du mode d’urbanisation extensif prôné par Franck Lloyd Wright et surtout de Phoenix, la monstrueuse ville voisine aux 1,4 million d’habitants, trois millions de voitures et une superficie dépassant celle de Los Angeles, dans l’un des climats les plus chauds de la planète. A l’époque, l’autre star du désert, Las Vegas, s’est déjà lancée dans sa course effrénée, à grand renfort de néons, casino sur climatisés. Jean Baudrillard écrit en 1986 dans « Amérique » : « Au cœur de la richesse et de la libération, c’est toujours la même question : « What are we doing after the orgy » ? Que faire quand tout est disponible, le sexe, les fleurs, les stéréotypes de la vie et de la mort ? C’est le problème de l’Amérique et, à travers elle, c’est devenu celui du monde entier ». Arcosanti situé au centre de ce maelström va créer sa trajectoire. La grosse moto garée devant la porte de East Crescent ramène vite à la réalité… Car même si une grande partie des « Arconautes » sont employés sur place, l’appel de la ville se fait souvent sentir. La vie sans clim, ni chauffage central a ses limites. Quelques panneaux solaires et des bâtiments bien orientés allègent l’empreinte mais en hiver il semble difficile de se passer de chauffage d’appoint. Des tribus de stagiaires de tous âges s’occupent du centre de recyclage -entre la communauté Emmaüs et la casse de voiture- et une activité de compost dernier cri, grâce à l’élevage intensif de vers de terre. Dans le même temps, Arcosanti possède un taux d’utilisateurs d’Iphone égal à celui d’une rédaction parisienne et toute la communauté peut surfer 24/7 sur Facebook grâce à un bon signal Wifi. Ici, les bons mais aussi les mauvais côtés de la société américaine ont doit de citer : « on ne peut plus allumer une cigarette dehors », râle une résidente. Un cours de communication non violente a été même instauré pour résoudre les conflits.
« Nous resterons des utopistes nostalgiques déchirés par l’idéal, mais répugnant à sa réalisation, poursuit Baudrillard au sujet des Européens. Nous vivons dans la négativité et la contradiction, eux (les Américains NDLR) vivent dans le paradoxe (car c’est une idée paradoxale que celle d’une utopie réalisée)». Les Arconautes, malgré leur effort, n’échappent guère à ce constat. Et de composer avec les tentations de l’époque. « J’avais 23 ans quand je suis arrivé en 1976, témoigne un pur et dur de la première heure. Je cherchais quelque chose de vraiment nouveau et les architectes connues de l’époque comme Richard Neutra, Robert Venturi, Michael Graves ou Philip Johnson, soient venaient de mourir, soient ne m’intéressaient pas, Paolo lui était encore là, je l’ai suivi et aujourd’hui je peux dire qu’en tant qu’architecte j’ai la conscience tout à fait tranquille mais j’avoue que pour m’amuser, me cultiver je suis obligée d’aller très souvent en ville ». Car même si une soixantaine de folks vivent ici et suivent coûte que coûte le cap montré par Soleri (à 93 ans il honore toujours la communauté de sa visite, il vit à Scottsdale), la cité qui manque de financement et de soutien pour atteindre la taille prévu (5000 habitants !) se heurte à ses propres limites. « Dans ce monde de surconsommation, la frugalité est un gros mot. Et Paolo n’est pas un homme de compromis, il s’est toujours refusé de se laisser aller à des projets commerciaux », poursuit le fidèle. Les projets évoqués, condominiums, hôtellerie, ne sortiront probablement jamais de terre de son vivant. Et contrairement à Auroville, la ville expérimentale d’Inde qui compte 2237 habitants dont 500 mineurs, ils sont seulement trois enfants dans l’éco-village. Arcosanti, cité du futur ou du passé ? La question se fait en tout cas de plus en plus présente.
Remerciements à l’Office de tourisme d’Arizona de nous avoir aidé dans l’organisation de ce reportage, à l’hôtel design Valley Ho (www.hotelvalleyho.com) et au resort Sanctuary Camel Back Mountain (www.sanctuaryoncamelback.com) situés à Scottsdale de nous avoir hébergé. Pour plus d’infos, www.arcosanti.com
Top5 des villes utopiques :
Auroville en Inde près de Pondichéry
Findhorn en Angleterre
Uzupis à Vilnius en Lituanie
Christiania à Copenhague au Danemark
Nutopia, pays son frontière imaginé par John Lennon www.joinnutopia.com